Conférence P. Servigne / Un avenir sans pétrole?
Le collapsologue Pablo Servigne (chercheur indépendant, auteur et conférencier) a présenté le le fruit de ses recherches gravitant autour du questionnement de notre mode de vie basé sur l’utilisation des énergies fossiles.
Humanisme et NBIC
~ nanotechnologie, biologie, informatique et science cognitive
LA PRIVATISATION DES SEMENCES
En l’espace de quelques décennies un petit nombre de multinationales a pris le contrôle du commerce d’un bien commun stratégique, les semences, grâce à un triple mécanisme :
la mise à l’écart des semences traditionnelles
la mise au point de variétés industrielles, hybrides F1 et OGM, grandes consommatrices de pesticides.
La mainmise du brevet sur le vivant
En 2013 , 10 multinationales seulement contrôlent 75 % du commerce mondial des semences. 5 compagnies contrôlent 95 % du commerce européen des semences de légumes.
Aujourd’hui ce seront 3 firmes, DowDuPont, Bayer-Monsanto, ChemChina-Syngenta3, qui contrôleront 60 % du commerce mondial des semences et 70 % de celui des produits agro-chimiques si la Commission européenne avalise les deux dernières fusions comme elle l’a fait pour la première.
Les conséquences principales de cette concentration sont :
Une appropriation du vivant par des intérêts exclusivement commerciaux
Une menace majeure pesant sur notre sécurité et sur notre souveraineté alimentaire
Une réduction de la biodiversité agricole aux seules semences commercialisées par les géants semenciers
La pollution des aliments, de l’air et de l’eau ainsi que la dégradation des sols
La dépendance croissante des agriculteurs vis-à-vis des producteurs de semences et pesticides
Le risque de confiscation des savoir-faire en matière de sélection et de production de semences.
La marginalisation des petites entreprises semencières
Tout cela reste bien abstrait. Qu’est-ce que cela signifie ?
Comment est-ce arrivé ?
Le contrôle des semences est devenu un enjeu capital dont le grand public ignore tout.
La technicité des procédés de sélection et de modification des semences, la complexité et le grand nombre des réglementations5 régissant le secteur, tout comme l’éloignement entre les lieux de culture et ceux de commercialisation des aliments découragent le public et le dissuadent de s’intéresser aux thématiques liées aux semences.
Il en va de même des médias.
Le consommateur certes commence à s’inquiéter de la qualité de la nourriture qu’il achète, il apprend non sans surprise que le « fromage » qui recouvre sa pizza peut ne contenir aucune trace de produits laitiers, il sent que ses tomates ont perdu leur saveur. Désormais les jardins partagés fleurissent, les AMAP se multiplient, l’agriculture suscite un intérêt croissant. Mais la question des semences, elle, reste trop technique, au plan agronomique comme au plan juridique.
Or il importe plus que jamais de comprendre les principaux mécanismes qui la régissent. Il y va de notre souveraineté et de notre sécurité alimentaires. Les semences constituent le point d’entrée dans la chaîne alimentaire. Contrôler les semences, c’est contrôler l’alimentation, répète inlassablement la militante écologiste indienne Vandana Shiva. Contrôler la nourriture, c’est contrôler les hommes, les stratèges le savent.
Ce contrôle prend la forme :
de l’essor massif de semences conçues en laboratoire, fragiles, très homogènes, F1 ou OGM, grandes consommatrices de pesticides nocifs6, et qui rendent de facto les agriculteurs dépendants, mais aussi de la forte marginalisation des semences traditionnelles alors que celles-ci sont fertiles, libres de droit, d’une diversité extraordinaire, capables d’adaptation progressive à un nouveau milieu, et donc infiniment plus résilientes.
Pendant des millénaires les paysans ont librement utilisé et échangé les semences. Ces semences étaient reproductibles, c’est-à-dire qu’on pouvait les ressemer à l’infini, sans frais. Parallèlement le développement du commerce des semences a requis la mise en place d’une réglementation indispensable pour garantir la nature et la qualité des semences en circulation.
Or en Europe cette réglementation a peu à peu été dévoyée, si l’on en croit des personnalités du monde paysan (Pierre Rabhi7, Guy Kastler, Dominique Guillet et Blanche Magarinos-Rey8, Vandana Shiva et bien d’autres) et des associations (Terre & Humanisme, Réseau semences paysannes, Kokopelli, Inf’OGM, Navdanya, etc.) qui alertent la société : la réglementation est devenue un outil de promotion des semences non reproductibles et soumises à redevances et même plus, un instrument de marginalisation des semences fertiles et libres de droit.
Aux Etats-Unis, le pays de Monsanto, les cultures OGM prospèrent. Les accords dits de libre-échange leur ouvrent un boulevard à l’étranger. L’Amérique du sud et l’Inde ont vu croître de façon exponentielle leurs surfaces cultivées en OGM. Les surfaces réservées aux semences traditionnelles en diminuent d’autant.
Comment en venons-nous à perdre et la sécurité et et la souveraineté alimentaires ?
Schématiquement trois grands mécanismes sont à l’oeuvre :
1- En Europe les semences fertiles et libres de droit sont largement exclues des circuits commerciaux par la réglementation9 ; aux Etats-Unis, en Argentine, au Brésil, en Inde elles cèdent du terrain face au déploiement des OGM.
2- La réglementation favorise des variétés industrielles commercialisées par de grandes entreprises multinationales, accessibles à titre onéreux, F1, OGM et assimilés, grandes consommatrices d’engrais et de pesticides de synthèse qui font perdre aux agriculteurs leur autonomie, au point de les mener parfois à la faillite et au suicide.
3- L‘application au vivant du régime du brevet, sa propagation et l’extension de son périmètre permettent aux firmes agro-alimentaires de s’approprier le vivant, y compris des semences fertiles et libres de droit.
Ces mécanismes sont détaillés ci-dessous.
Petit glossaire pour bien suivre…
Agronomie
Allogamie : mode de reproduction des plantes à partir de deux gamètes issus de deux individus différents.
Autogamie : mode de reproduction par autofécondation.
Conservation ex situ de semences: système de conservation des semences en dehors du milieu naturel. Son efficacité est limitée, car les plantes doivent être remises en culture pour entretenir leur faculté germinative et leur capacité à s’adapter à des environnements évolutifs.
La lignée pure : est une souche dont tous les individus sont génétiquement identiques et homozygotes, ils présentent à chaque niveau de l’ADN deux gènes identiques. Ils transmettent donc nécessairement ce gène à leur descendance.
Les plantes autogames sont naturellement des lignées pures.
Quant aux plantes allogames, les sélectionneurs peuvent en faire des lignées pures en leur imposant pendant 7 ou 8 générations un processus d‘autofécondation. Les plantes en deviennent plus homogènes. Elles y perdent en vigueur et en potentiel d’adaptation.
Hybride F112 : l’hybridation se pratique généralement sur des espèces allogames. On croise deux lignées pures devenues dégénérescentes (On parle de dépression consanguine) pour redonner de la vigueur à la plante. La génération F1 est la première issue du croisement de deux lignées parentales autofécondées. C’est elle qui est commercialisée. Les générations suivantes en revanche donneraient une récolte disparate, inexploitable. S’il veut cultiver la même variété, l’agriculteur ne peut donc pas récupérer les semences, il doit se réapprovisionner auprès du semencier.
Il est à noter que les plantes hybrides issues de croisement ont toujours existé. Les spécificités des hybrides F1 résident dans le bon rendement qu’elles assurent (lorsqu’elles sont associées à un pesticide) mais aussi à ce caractère instable qui les rend non reproductibles. Les hybrides traditionnelles en revanche peuvent être ressemées.
Pesticide : il s’agit soit d’un insecticide, soit d’un herbicide, soit d’un fongicide. Les pesticides dont il est question ici sont des pesticides chimiques de synthèse.
Réglementation
Le Certificat d’obtention végétale (COV) : le COV est une protection de propriété industrielle sur des variétés végétales, telle le brevet, mais plus souple que ce dernier. Le COV assure l’exclusivité d’une variété à celui qui l’a sélectionnée. La variété couverte par un COV peut toutefois être utilisée dans le cadre de la recherche ou pour la sélection d’une nouvelle variété. Une variété est protégée entre 25 et 30 ans. Au-delà de cette période, elle tombe dans le domaine public.
Semences anciennes / semences paysannes / semences traditionnelles / variétés populations : Ces semences appartiennent au domaine public, elles sont normalement libres de droits. Elles peuvent résulter de sélections faites par les paysans pendant des siècles. En Europe leur commercialisation est en grande partie illégale depuis les années soixante.
Semences de ferme : semences produites par l’agriculteur à partir de plantes issues de semences certifiées achetée à une firme semencières et sélectionnées par lui. L’agriculteur agit généralement par souci d’économie et d’indépendance. 34 espèces peuvent être reproduites à la ferme, moyennant une redevance payée au producteur de la semence initiale. Les petits agriculteurs en sont exonérés.
Dans La privatisation des semences (II), (III) et (IV) seront présentés les trois mécanismes qui permettent à de grands acteurs internationaux de contrôler le marché des semences :
La marginalisation des semences fertiles et libres de droits
Le développement massif de types de semences qui visent à rendre les agriculteurs dépendant des firmes semencières : hybrides F1 non reproductibles et OGM controversés
L’emprise croissante du brevet sur le vivant...
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