ORS - CHAIRES & POMPES
Conformément à une tradition où l'on trouve des théoriciens aussi prestigieux que K. Marx et J. M. Keynes, nous pensons que c'est la monnaie en tant que moyen de réserve qui constitue le lieu où ce soupçon s'élabore.
Thésaurisation et raison critique
K. Marx remarque que, dans les fonctions d'unité de compte et de moyen de circulation, la monnaie ne se donne à voir que sous des formes partielles, fragmentaires, ce qu'il appelait, respectivement, la monnaie idéale et la monnaie symbolique ; alors que dans la thésaurisation, c'est la monnaie réelle, « la monnaie proprement dite », qui apparaît. En tant que monnaie idéale ou symbolique, la monnaie peut être remplacée par des symboles d'elle-même. Telles des représentations physiques ou picturales attachées à toutes fonctionnalités créatives, conceptualisations, édictions, mouvements, mobilités, réalisations, affairements, actions, réactions, que celles et ceux-ci soient affectés(es) aux ou par les capacités intellectuelles, facultés manuelles et énergies valorisantes… Des individus de type mâles ou femelles, et définis en tant que genre ‘’Mammifère-humanoïde’’…
En espérant que l’homme ‘’moderne’’ futur sera suffisamment lucide pour entrevoir qu’il est encore assujetti à quelques fonctionnalités affectées à ‘’L’homo-erectus’’, et surtout infécondes à envisager meilleures évolutions, mais assurément infectées par les misérables croyances obsolètes, arrosées aux poisons de la supériorité prédatrice inefficaces au maintien des libertés, où la seule sienne eut été de se dresser sur ses deux pattes de derrière, tout en ayant oublié, qu’à l’inutilité d’être une mauvaise langue, il aurait été mieux inspiré, en donnant la sienne au chat de l’écrivain…
Du conteur…
Du poète et de l’humaniste, accompagnés par quelques agréments propres aux philosophes, épistémologistes, anthropologues, linguistes, théoriciens Aristotéliciens, Kantiens, Freudiens, Darwiniens, Bergsoniens, acteurs et actrices terriens, romantiques en tant que dépositaires des mots, expressions et signes à dépendances utiles au maintien des attentions socio-culturelles dans et par leurs meilleures formes paradoxales liées à la symbolique de l’attachement, de l’attention et de la liberté…
En effet, dans la répétition inlassable du mouvement des échanges, la monnaie se dématérialise: « Son existence fonctionnelle absorbe son existence matérielle », mais, dans la thésaurisation, la monnaie se donne à voir dans toute sa plénitude… « Elle se dresse face aux marchandises usuelles comme l'unique incarnation adéquate de leur valeur ».
La monnaie est une subjectivité de l’apparat corporatiste.
K. Marx sent à quel point l'expérience de la thésaurisation est traumatisante pour l'harmonie des relations marchandes : elle met en péril la continuité des échanges. En dissociant les actes de vente et d'achat, la monnaie thésaurisée n'apparaît plus comme un simple outil à la disposition de tous, mais comme le lieu d'un pouvoir effectif, subjectif, voire ‘’affectif’’, que chaque particulier peut exercer sur la circulation des marchandises. Cette émergence trouble la rigueur de l'ordre quantitativiste des objets et sujets. On voit réapparaître ce que le concept de neutralité avait refoulé, à savoir la monnaie comme force sociale : ‘’ Dans la thésaurisation, la puissance sociale devient puissance privée des corporatismes particuliers, tendant paradoxalement à devenir des sujets de type acheteurs libres et conscients de leur pouvoir à acquérir l’objet du besoin et du désir par la nécessité, l’utilité, l’essentialité, ou la superficialité, avec toutes les connaissances disponibles et savoirs liées à la conceptualisation, fabrication, métamorphose, et la distribution de ce même ‘’sujet-objet’’ respectant l’éthique économique et la déontologie de l’échange social… ??? ‘’.
Ou de l’essentialité du commerce à tout prix, dans la sphère sociale-économique … ?
Le danger que ce type de comportement non maîtrisé ou non-régulé législativement et démocratiquement, où la valeur unique est… ; le consumériste endiablé, désolidarisé de la pensée cognitive et logique, et d'autant plus grand que la demande de thésaurisation « n'a, de par sa nature, ni règle ni mesure » ; sauf en et par celle du tragique besoin d’en désirer toujours plus, doublé de cette singularité impropre à une certaine forme de stabilité quitte à employer en ces cas d’incertitudes, des moyens inappropriés aux justes échanges, voire autres attachés à l’obsolescence programmée par une valeur subjective de ‘’l’objet’’ et dénaturant par là même la dématérialisation monétaire généralisée, même celle déboutée d’ordre moral affecté par le désir individualiste ou objectifs et intérêts non satisfaits. Contrairement à la demande de monnaie, telle qu'elle se déduit du motif de transaction, la demande de thésaurisation que considère K. Marx est fortement instable, et s'y exprime, sous la forme la plus absolue, l'arbitraire individuel, avec, actuellement, possible fonctionnalité à entrer dans une phase de décroissance sociale-économique. Aussi, pour K. Marx, sa logique relève-t-elle essentiellement de la psychologie, et, plus spécifiquement, de la psychologie de l'avarice.
Phénomène tendant à vouloir posséder l’objet par l’empressement de nécessité d’accaparement, en ce cas nommée valeur fiduciaire de l’objet-sujet matérialisé, et assurément devenue à l’instant de l’achat : ‘’propriété immobile addictive’’. La fonction d’utilité du flux monétaire se trouve en ce cas morpho-psychologiquement assujettie, à l’accaparement individuel de la rareté ou à la possession compulsive… Irraisonnée, individuellement utile, superficielle ou fétichiste ?
Il me semble que dans notre beau pays, certaines politiques sociale-démocrate et ordo-libérale déficiente, démocrate-chrétienne, herméneutique-protestante et de droite-catholique, sont encore empreintes de trop du principe de subsidiarité affilié au Grand Ordonnateur, pour pouvoir mettre en place une réelle République Démocratique Laïque… Autorisant de potentiels accords constructifs entre le riche raisonnable et le précaire, le donneur d'ordres sensé et le courtisan, le maitre sagace et l’estudiantin, l’homme esthète et la femme conquise (et réciproquement), la liberté et l’attachement… Hors croyance exaltée envers la religiosité-politicienne ou autres politiques-templières frelatées, adorateurs et adoratrices de Mammon…
L’ORDOLIBERALISME
Article de Jean-Claude COIFFET (2008), complété par quelques ajouts et modifications textuelles personnelles.
« Le projet ambitieux de l'Union économique et monétaire européenne est un pur produit de la pensée ordo-libérale ».
Frederick Bolkenstein
Il s'agit à l'origine d'une simple idée, d'un concept, qui fut progressivement transposée dans l'économie allemande, en en devenant même l'un des principaux éléments.
En fait, cette idée est la formulation, habile et ambiguë, d’une politique économique qui se réfère à une théorie (et même une véritable idéologie) particulièrement élaborée, née en Allemagne dans les années trente : “L’ordolibéralisme”, se réfère explicitement à Röpke, l’un des fondateurs de cette pensée avec Eucken et Müller-Armack. Le terme Ordolibéral fait référence à une revue créée à l’époque, intitulée Ordo (regroupant tous les néolibéraux européens) et qui se veut la revue d’un nouvel ordre économique et social (Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft). Cet intitulé permet de bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple idée pragmatique de politique économique ni même d’une simple théorie économique parmi d’autres mais bien de l’énoncé de principes fondamentaux et universels d’un ordre social ‘’idéal’’... ‘’L'économie sociale de marché’’ consiste en un mélange de deux systèmes. De la même façon que les “Démocraties Populaires” n’étaient ni démocratiques ni populaires, “L’économie de marché sociale” n’est ni libérale ni sociale. Non seulement il n’est pas question de mêler libéralisme et social-démocratie, mais les ordolibéraux rejettent à la fois le libéralisme (aussi bien économique que politique) traditionnel qu’ils nomment de manière péjorative le paléo-libéralisme et le socialisme, qu’ils considèrent comme le mal absolu.
« Pour Eucken, le socialisme était une vision d'horreur, un modèle, non seulement d'inefficacité, mais aussi, et surtout, d'absence de liberté ».
Frederick Bolkenstein, homme politique néerlandais, ordolibéral convaincu et militant, longtemps responsable du parti populaire (libéral), président de l’Internationale libérale de Londres entre 1996 et 1999, auteur de la directive « services » (dont le principe structurant du « pays d’origine » a été l’objet de fortes contestations) qu’il a élaboré lors de son mandat à la commission européenne entre 1999 et 2004. Elle retient en effet des éléments de marché libre ainsi que d'économie plus centralisée. Elle se pose alors comme un troisième choix entre peu ou trop d'interventions de l'État dans l'économie.
Le “EN EFFET” ne manque pas de sel.
L’ordolibéralisme n’est justement pas pour un marché libre. Le marché, à ses yeux, n’est pas une donnée naturelle, contrairement aux thèses libérales classiques, et donc risque d’évoluer dangereusement. Aussi, le marché doit-il être institué rigoureusement, et même autoritairement, encadré. Entre autres, par une Constitution, qui doit énoncer non seulement les principes économiques et sociaux (Ordnung von Wirtschaft un Gesellschaft), mais aussi les règles de fonctionnement intangibles et impératives pour assurer cet ordre (le projet de Traité constitutionnel européen était typiquement d’inspiration ordolibérale).
D’autre part, cette idéologie est farouchement opposée à tout centralisme aussi bien politique (décentralisation politico-administrative), qu’économique (lutte systématique, voire obsessionnelle, contre les monopoles et la survalorisation des PME), que social (la famille comme cadre privilégié de la vie sociale… ; communautarisme, et peut-être, d’une certaine manière, pour ‘’eux’’ ; seul socle ‘’culturel’’ affilié au sens commun ?). Enfin, l’Etat est conçu à la fois comme une sorte d’autorité religieuse, gardienne du credo “concurrentiel”, et comme une entreprise ‘’paternaliste’’ dans son fonctionnement, et non comme l’Etat démocratique classique. Il ne doit d’aucune manière intervenir dans le libre jeu de la concurrence, ni dans aucun domaine de la vie sociale. Par contre, il doit, en amont, offrir le cadre institutionnel permettant cette libre concurrence et, en aval, sanctionner sévèrement toute déviance qui porterait atteinte à celle-ci (la fameuse formule de la concurrence libre et non faussée). Il doit lui-même s’interdire toute intervention, même sous prétexte de l’intérêt collectif.
Pour les ordolibéraux, l’intérêt commun ne peut en aucune façon se déterminer par un projet a priori (une finalité) rationnel collectif, mais se réalise spontanément (a posteriori) par le libre jeu de la concurrence. Toute institution, privée ou publique, doit se forger et agir sur le modèle de l’entreprise et ne doit obéir qu’à un seul critère : la rentabilité. (Variable unique de l’économie) - « Le projet ambitieux de l'Union économique et monétaire est un pur produit de la pensée ordo-libérale ».
La conception de ‘’l'économie de marché sociale’’ voudrait associer le principe de la liberté des marchés et celui de la compensation sociale. (Etats ambigus et rarement égalitaires).
On ne revient pas sur la confusion entre marché libre et concurrence instituée. Mais surtout, l’ordolibéralisme est radicalement opposé à toute forme de solidarité collective universelle (type sécurité sociale ou services publics gratuits par exemple). La famille doit être le seul lieu solidaire et assurantiel, à charge bien sûr, de faire appel à des entreprises de service, concurrentielles, aussi bien pour la santé, l’enseignement, la retraite etc… En opposition donc avec la conception sociale-démocrate lucide de la nécessaire mise en œuvre du véritable pragmatisme collectiviste affilié à une réelle communauté ||Sociale-Economique||…
Mais avec le libéralisme classique qui, dès Adam Smith par exemple, considérait qu’il y avait des activités qui échappaient, par nature, au marché (telles l’école, la santé et la défense, par exemple). Il y a bien, par contre, l’idée de compensation sociale, mais elle se limite à des aides ponctuelles, en fonction d’accidents conjoncturels, et un soutien minimum de la frange de la population la plus défavorisée (la fameuse lutte contre l’exclusion, mais en aucune façon contre la précarité, qui en est le signe perceptible avant l’exclusion). Mais surtout, pour les ordolibéraux, la protection sociale ne doit pas faire l’objet d’une politique sociale autonome et ne nécessite aucune institution spécifique, car c’est le fonctionnement libre de la concurrence qui permet, par lui-même et lui seul, la justice sociale. Ce qui permet de redonner son vrai sens à la fameuse formule “Economie de marché sociale”. L’épithète “sociale” ne vient pas corriger le concept d’économie de marché, mais signifie que, au contraire, l’économie de marché est par nature sociale, que toute finalité sociale est la conséquence spontanée d’un marché de concurrence libre et non faussée.
Comme ; la laïcité n’a aucun besoin de complément circonstanciel, adjectif ou épithète.
Elle est ou elle n’est pas.
Mais l’économie factuelle se doit d’être sociale.
Le doute apparaît dans toute sa plénitude : il s'y exprime comme pure critique des valeurs et croyances existantes sans nécessité de proposer des hypothèses alternatives. Cette attitude simpliste exprime de la manière la plus adéquate les valeurs individualistes au regard desquelles est rationnel l'individu qui met en doute les croyances collectives, en et par leurs inutilités à être de meilleurs vecteurs socio-économico-culturels que la détention individualiste de monnaie ou de biens permettrait ? Comme l'écrit R. Bouveresse, « La prise de conscience de la faillibilité est l'acte de naissance de l'homme rationnel ».
Economie sociale de marché ou Sociale économie de marché ?
« La forme la plus élémentaire de sécurité sur le plan social est garantie lorsque chacun a la possibilité d’assurer, par ses propres moyens, sa subsistance et celle de sa famille. »
(Hans Tietmeyer).
Ordre du clan ?
Ou népotisme particulier ?
De même pour Hans Tietmeyer: « Ce sont justement les institutions du marché, en situation de concurrence, protectrices de la liberté et instigatrices de bien être qui peuvent atteindre la plupart des objectifs sociaux ».
Faillibilité n’est pas morale ?...
Ainsi les avantages de l'économie de marché, comme ceux de la liberté économique et du progrès technique, sont mariés avec ceux de l'économie centralisée comme le haut taux d'emploi et les faibles variations de la demande. À l'opposé, de nombreux désavantages de ces deux types d'économie sont gommés comme l'abus de liberté des marchés. Là, l’auteur de ce texte atteint le zénith du crétinisme dogmatique et/ou de la malhonnêteté intellectuelle. D’une part, il continue de prétendre que le ‘’Soziale Marktwirtschaft’’ (sociale économie de marché) est une synthèse du libéralisme et de l’économie centralisée, en totale contradiction avec les principes théoriques de cette pensée. D’autre part, il assimile liberté économique et progrès technique, alors que partout la recherche scientifique est pour l’essentiel financée par des fonds publics, et s’élabore majoritairement dans des institutions publiques ou para-publiques.
Le moteur efficace de la recherche et de l’évolution ‘’positive’’ est la collaboration et non la concurrence.
Sans oublier que l’Union Soviétique fut une des premières puissances scientifiques et une fabrique de savants, que l’occident marchand n’a cessé de tenter de “s’approprier”. Pour faire contrepoids, il assimile économie centralisée et le haut taux d’emploi, ce qui doit faire s’étrangler d’indignation et de colère tous les libéraux ou néolibéraux et par là même les adhérents à la thèse ordolibérale décrédibilisant l’utile partie liée à la gestion sociale par une véritable république démocratique. Enfin, ce “métissage” de pensées contradictoires aurait la vertu de faire profiter des avantages de chacune et d’en gommer les désavantages… par quel miracle ne serait-ce pas l’inverse ? Sachant que l’être humain est souvent attisé par les feux de la division et les lois du filoutage déontologique. D’ailleurs, les néo et ordolibéraux actuels dénoncent, au contraire, le caractère pervers de cette synthèse, que la mise en application pratique de l’économie de marché sociale a engendré dans les décennies précédentes. Ils n’ont de cesse, en particulier dans le cadre de l’UEM (l’Union Economique Mondiale), de revenir à une pureté théorique, en se débarrassant des scories sociales-démocrates qui polluent, à leurs yeux, les économies occidentales.
“Au terme actuel de son évolution depuis plus d’un demi-siècle, on peut constater pour finir que l’économie sociale de marché allemande demeure toujours un système hybride, combinant un certain libéralisme économique et un certain modèle social dont on peut se demander s’ils sont complémentaires ou au contraire à la longue incompatibles. Mais il y a indiscutablement en ce moment, sous l’influence d’une crise économique et sociale persistante et de l’évolution concomitante des idées, une remise en question profonde de la composante sociale du système dans un sens qui tend à rapprocher celle-ci, comme auparavant la composante économique, de sa conception théorique dans l’ordolibéralisme. Il serait intéressant et instructif d’observer l’effet de ces réformes sur l’évolution économique et sociale allemande - L'État y a une position forte et intervient dans les décisions économiques pour l'intérêt public et se pose en co-organisateur des politiques sociales et économiques.”
C’est l’un des aspects qui conduit à des contresens graves vis-à-vis de cette thèse. En effet, l’ordolibéralisme renie le fameux principe du “laisser faire, laisser passer”, énoncé par le libéralisme classique (théorie du ruissellement), ce qui peut faire penser qu’il peut y avoir intervention de l’Etat. Pourtant, Michel Foucault dans son cours sur la naissance de la biopolitique, évoquait, à propos de l’ordolibéralisme, une véritable phobie de l’Etat, qui, selon cette théorie, aurait une propension naturelle à accroître son ascendant sur la société, jusqu’au totalitarisme. Phobie qui fait dire ironiquement à l’économiste ordolibéral Bilger qu’il faut s’opposer au “laisser faire de l’Etat”. De son côté, Frédéric Lordon (économiste, Directeur de recherche au CNRS), dénonçant l’influence des ordolibéraux au sein de l’Union Européenne, parle de leur haine de l’Etat.
Pourquoi ces visions contradictoires concernant le rapport à l’Etat de cette thèse ?
Cela tient essentiellement à l’erreur qui consiste à voir l’ordolibéralisme comme un système hybride ou une synthèse du libéralisme et de la social-démocratie, alors qu’il se démarque fondamentalement du libéralisme classique et s’oppose radicalement au socialisme et à toutes les formes d’intervention économique et sociale de l’Etat. Pour les libéraux classiques, le marché est une donnée naturelle, ainsi Adam Smith énonçait que dans toute société humaine il y a une tendance naturelle (instinct) au “trafic” (échange marchand).
Il faut donc laisser s’exprimer librement cet instinct et aucune instance corporatiste autocratique ou politique templière, ne doit entraver cette liberté. Cependant, pour ce classique, le marché ne peut pas valablement recouvrir toutes les activités humaines ; les grandes infrastructures, les services d’intérêt général comme la santé, l’enseignement ou le régalien, par exemple, échappent aux lois du marché. Les ordolibéraux contestent les deux aspects de cette vision. Pour eux, l’échange marchand concurrentiel est la forme universelle des rapports humains dans tous les domaines.
Mais, l’échange marchand n’est pas naturel, c’est un idéal qu’il faut vouloir, instituer et protéger. D’où la nécessité d’une autorité supérieure qui énonce les principes, fixe les cadres juridiques, sanctionnent tout manquement aux règles et combat, voire réduit au silence, toute pensée contraire aux principes de cette thèse, aussi bien le libéralisme classique parce qu’utopique (naturalisme des lois du marché) et immoral (hédonisme individualiste) que le socialisme, ou toute forme d’interventionnisme étatique ; parce qu’inefficace économiquement et attentatoire à la liberté.
L’Etat a donc bien “une position forte” et “intervient dans les décisions économiques pour l'intérêt public et se pose en co-organisateur des politiques sociales et économiques. Mais, pour les ordolibéraux, les concepts d’Etat, d’intérêt public et de co-organisation ont un sens différent, et même fondamentalement opposé, à celui reconnu depuis deux siècles dans les démocraties libérales. Si donc ils se distinguent des libéraux classiques, ils s’opposent encore plus radicalement à la conception sociale-démocratique, et même tout simplement démocratique, de l’Etat. Pour eux, il n’y a pas de sphère politique, la société fonctionne “librement”, le lien social se réalisant selon le principe unique et universel de la concurrence entre individus, communautés et institutions. D’où l’objectif de la privatisation systématique de toutes les activités humaines de quelque nature qu’elles soient. Il n’est donc pas possible de concevoir un quelconque souverain, fut-il populaire, exprimant une volonté commune : d’où l’anti-souverainisme, “l’indépendance” des corps intermédiaires, des instances d’arbitrage et de régulation (Banque centrale, Justice, administrations sociales, etc…) et pour les ordolibéraux l’affiliation des services d’intérêt général aux uniques lois de la concurrence. Dans ces conditions, l’Etat ne peut pas légitimer son autorité au nom d’un souverain, il doit donc être délesté de tous ses attributs de souveraineté et se comporter comme une entreprise parmi d’autres: rentabilité de ses services et interventions limitées au maintien ou rétablissement des règles de concurrence du marché. Et même, son existence n’est qu’une concession provisoire, imposée par l’histoire des démocraties occidentales, jusqu’à ce que soit mis en place et en œuvre un espace socio-économique hors souveraineté nationale.
La “construction” européenne, dont ils sont, depuis l’origine, les initiateurs les plus déterminés,
doit répondre à cet objectif.
Quant à la co-organisation, elle fait allusion au système de contractualisation des rapports sociaux mis en place en Allemagne après la 2ème Guerre mondiale, où une cogestion d’inspiration néo-corporatiste assurait la paix sociale tout en permettant un haut niveau de revenu salarial, le tout adossé à un système de protection sociale dont les origines remontent à Bismarck. Mais là encore, il s’agissait d’une situation transitoire dont les ordolibéraux ont profité pour intégrer idéologiquement le monde syndical au capitalisme, et qui, par ailleurs, s’imposait à eux, compte tenu du rapport de force avec un syndicalisme puissant et bien organisé. Enfin, cette situation était supportable grâce à l’exceptionnelle croissance économique de la reconstruction industrielle allemande. Mais, depuis les années 80, à la faveur de la crise et de la mondialisation, le retour à la pureté ordolibérale se traduit par une remise en cause radicale tant du système de protection sociale que de la cogestion syndicale, dans le sens d’une flexibilisation des rapports sociaux et de la réaffirmation du pouvoir non partagé des actionnaires ou ‘’héritiers’’ d’un système féodal ?
La construction européenne étant pour eux le moyen habile de se défaire de ce fameux modèle allemand, au sein même de l’économie allemande.
Hans Tietmeyer ne laisse aucun doute sur ce point : « l’économie sociale de marché n’est pas le premier degré de l’Etat Providence », écrit-il. Et pour enfoncer le clou, il ajoute que cette économie sociale de marché n’a jamais été conçue comme une « troisième voie » entre socialisme et capitalisme ou comme une « convergence des systèmes », mais comme une économie de marché perfectionnée et efficace. Le résumé de la doctrine de l’ancien « patron » de la Bundesbank est très explicite : « ce sont justement les institutions du marché, en situation de concurrence, protectrices de la liberté et instigatrices de bien être qui peuvent atteindre la plupart des objectifs sociaux ».
Le progrès social passe par la constitution d’un « capitalisme populaire » reposant sur l’encouragement à la responsabilité individuelle par la constitution de « réserves » et d’un patrimoine personnel obtenus par le travail.
Chritian Laval, docteur en sociologie, membre du GÉODE (Groupe d'étude et d'observation de la démocratie, Paris X Nanterre/CNRS) : ‘’Tietmeyer est un ordolibéral convaincu, ancien Président de la Bundesbank, il fut l’architecte de l’Union monétaire et de l’Euro, dans le but de faire de l’économie allemande, la plus grande puissance financière européenne’’.
« L'avènement de l'Europe libérale de demain risque d'être ébranlé par la formation transmise aujourd'hui aux jeunes Européens dans les écoles et les universités (…). La tâche des universitaires est donc de transmettre, par leur travail, les valeurs fondatrices de la société libre ou, en tous les cas, de combattre les idées qui visent à mettre en péril ce type de société. »
Fritz Bolkenstein.
Dans cette même optique d’une société de marché, il est écrit dans le “Livre Vert ” (Document européen sur les services d’intérêt général):
‘’Néanmoins les fournisseurs de services d’intérêt économique général, y compris les fournisseurs de services internes sont des entreprises et sont dès lors soumis aux règles de concurrence prévues par le traité. Les décisions d’accorder des droits spéciaux ou exclusifs aux fournisseurs de services internes ou de favoriser par d’autres moyens peuvent constituer une violation du traité, malgré la protection partielle offerte par l’article 86’’.
Ce refus de principe (de l’intervention de l’Etat) s’exprime notamment dans les « Lignes directrices communautaires » par lesquelles la Commission rappelle régulièrement ses propres orientations et qui, en l’espèce, répètent depuis plus d’une décennie avec une grande constance le principe dit de «l’investisseur privé» : l’aide d’Etat n’est admissible que si «dans les mêmes circonstances un investisseur privé rationnel dans une économie de marché» aurait pris une semblable décision d’apport financier. L’Etat est toléré…, mais à condition qu’il abdique d’être l’Etat, et qu’il se comporte comme un «agent privé rationnel en économie de marché» !
(Frédéric Lordon CNRS, Bureau d'économie théorique et appliquée) : “L’une des curiosités de la construction européenne est que l’on se réfère de façon valorisée au «modèle allemand», comme capitalisme nationalement organisé alors que cette unification européenne le remet précisément en question ne serait-ce simplement, parce que « le dialogue social européen » est très loin des règles très formalisées et contraignantes de :
« L’action concertée des Etats et, plus encore, par effet redondant, en celle socialement fracturée, des Nations ».
On peut même tenir que le transfert vers le niveau européen, comme vers le niveau infranational, est un moyen pour le patronat allemand de se délester des contraintes de la négociation nationale telles qu’elles ont été fixées dans une phase antérieure du rapport de forces entre patronat et salariés durant laquelle l’intégration dans la compétition mondiale ne fonctionnait pas encore comme levier anti-salarial. Plus encore, l’intégration européenne se faisant de plus en plus par la mise en concurrence des systèmes institutionnels, au nom du principe ravageur de la « reconnaissance mutuelle », c’est l’idée même d’une autonomie de la concertation nationale qui est remise en question par la « dérégulation compétitive ».” (Christian Laval)
Notamment dans l’EU par la compétition inter-nations alléguée par les distorsions de l’impôt, le dumping social et différences de coût du travail. Les bases du système favoriseraient le principe de coordination et la concurrence utile, la formation de monopole serait empêchée… La montée des partis extrêmes fut-elle, hier et aujourd’hui, en Europe, empêchée ?
La base de la pensée de l'économie de marché sociale est la personnalité ; l'homme n'est pas ici seulement considéré comme un individu mais également comme un acteur social - chacun doit assumer sa responsabilité envers lui-même et autrui. L'État ne participe à l'assistance que si l'homme ne peut s'aider lui-même - principe de subsidiarité. Schématiquement : ‘’aides-toi, le ciel t’aidera’’. Conclusion qui, apparemment, reprend synthétiquement les grandes lignes économiques, sociales et philosophiques de l’ordolibéralisme. Apparemment seulement, parce qu’encore une fois l’imprécision conceptuelle offre un discours flou, qui favorise, par naïveté ou malhonnêteté, la confusion des interprétations. Les bases du système sont le principe de coordination et la concurrence. Dès les premiers mots, est évoqué un principe qui réunit deux notions, ‘’coordination’’ et ‘’concurrence’’, parfaitement antinomiques. Ainsi, selon la définition d’Alain Rey (Robert historique de la langue française) la coordination est “ l’agencement des parties d’un tout selon un plan logique pour une fin donnée ”.
Michel ASTI sur : https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1382629935206613&set=a.169856409817311&type=3
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