Charles Rambaud
Charles Rambaud - Feu de tout bois (Poèmes)
Le salut est personnel
Je me suis pris aux genêts et aux ronces
Aux orties et au chiendent
Au tranchant des fougères
Aux épines de la terre
Et la Terre, là en ce coin d’univers
A repris figure humaine
A l’image d’une image
Portée comme une femme
Caressée comme un miroir
Nous avons du rêve sur la planche
Et les murs d’autrefois
Ont repris leur veille au bord du chemin
Ils ont repris leurs songes à la lisière du vent
Le paysage est revenu
S’accouder à leur crête
La grande pluie droite y a planté ses blés de verre
Le soleil a mis le feu à l’ombre
La neige y reviendra poser ses nids
Notre amour demande aux arbres quelques certitudes
Et les anciennes souches aux gestes convulsés
Je fais un feu liquide
J’ai retrouvé le silence oraculaire
Et l’ordre au front lourd des signes
Le jour et la nuit y balancent leurs mers
Les saisons y inscrivent leurs noms
Le monde est loin
Je me sens près de moi comme une aurore
Ouvrant les yeux sur le sommeil
Et je suis près de toi comme une fenêtre
Ouvrant ses bras sur l’étendue
Ici il y aura une maison mortelle
Je connaitrai les passages d’étoiles
Et les escales de la lune
Sur ce lambeau d’espace dont j’ai la charge
Et déjà la confidence
On y ferait une île
Si les iles avaient survécu
A la marée des grandes multitudes molles et cruelles
Des arbres voulus inaugurent leurs feuilles
Et d’une encre légère, donnent à l’ombre
Une terre où tracer son arène
Ils survivront à nos hantises, nos passions, nos amours
Et prendront place dans la mémoire des oiseaux
J’y tiendrai en respect les hordes sauvages de l’herbe
Les passagers du vent, les menaces des germes,
Les frissons des murailles, les fatigues des toits
Et, à leurs patiences éternelles,
J’opposerai une vigilance depuis toujours blessée à mort
La mer jamais n’est venue jusque là
Dérouler ses talus et ses apis d’écume,
Déposer ses armes et coucher ses épaves
Pas un coquillage
Pas un signe de sel
Rien que de la terre lestée de pierres et clouée de racines
La mer est loin
Ici les routes ont des rives
Les villages sont des cicatrices
Les voiliers portent des fruits
On ne traverse pas d’un regard la colline
Et, derrière elle, le monde est inimaginable
A qui n’a pas franchi le seuil
Où des sapins donnent au vent le chant de passe
L’aventure ici n’est plus dans le voyage
Une pierre dans la main comble le voyage
D’un vertige de temps
L’herbe implacable nous ligote le cœur
La rivière nous use de sa patience
Il reste en moi des terres inconnues
Dont il importe de dessiner la carte
Nous y travaillons à sauver quelques rites
Rescapés du naufrage de l’homme
Nous redirons sacrés les gestes
Que la vie en battant nos chemins
Et, tournant le dos aux bateleurs
Nous chercherons en dehors de nous la vérité
Et en nous la liberté
Il est temps que l’homme redevienne une île
Veillant sur ses marges de sable
Ses digues et ses rades
Il est temps que l’homme redevienne un arbre
Voué à vouloir et ne jamais rejoindre ses oiseaux
Dans les feuillages de l’éclair
Et du bois le plus mort de nos anciens triomphes
Faisant un feu
Nous laisserons entre les choses
Entre les gestes et entre nous
Assez de silence
Pour leur permettre d’achever en louange
Leur usage trop clair
Et y glisser l’image de la mort
Car nous mourrons
Plus étrangers à nous-mêmes qu’à l’univers
Plus loin de nous que d’une étoile
Plus séparés de ce mystère battant encore sous notre peau
Que les galaxies in-imaginées
Serrant entre nos bras un dernier paysage
De terre, de visages, de sang et de soleil
Tellement seuls enfin, que tout pourra venir
Pourrons-nous y apprendre à déposer le rêve
Dont nous fîmes chargés
Et changer notre faim en terre à blé
Notre soif en fontaine
Comme de notre amour dont nous avons fait le pain
Et comme de ce temps nous avons fait l’amour ?
Peut-être ce chemin qui ne sert qu’une fois
Et qu’on jette
Entre deux pluies de cendres
Deux averses de l’oubli
Deux triomphes de broussaille,
Passé par cette grange
Et ces murs à ouvrir de paupières
J’ai appris à connaitre les routes sans issue
A l’accueil trop ouvert fait à nos solitudes
Je ne prendrai plus un crachat de néon pour un astre
Désormais je ferai semblant d’être là
Avec mon corps et mes paroles
Mais j’userai de mon droit
A voir le sable sous le mirage
Le squelette sous la peau
L’homme nu sous la défroque
L’imposteur sous la parure
Et à sauver en moi
Ce que vous appelez ruines et chaînes
Et dont je sais la splendeur et le chant
Il est temps que l’homme redevienne une arche
Où se refugiera la création
Car le déluge a commencé
La terre se couvre de flaques
Nous entrons dans les ténèbres
Et ceux qui n’auront pas appris à voir clair dans la nuit
Mourront d’ombres et de peurs
Il est temps que l’homme redevienne une serre
Il est temps que l’homme redevienne une race
Où la jeunesse de la source
Habite la mémoire des montagnes
Il est temps que l’homme redevienne une lampe
Où se refugiera le soleil
D’autres déserts que ceux des mappemondes
Leurs landes de chaux
Leurs plaines de craies
Et leurs étangs de sel
Rôdent à nos portes
Cela commence par une absence de regard
Puis la mémoire s’ensable
Le sang s’éteint
On vend son âme pour un décor
Et quelques masques de vivant
Le rêve se fait lourd
On se trompe de vie
On en veut au silence de se taire
Et au bruit de ne rien dire
On perd ses mains
On se peint des fleurs sur le corps
Ne sachant plus séduire la terre
Il est encore temps pour l’homme
De monter au sommet de lui-même
Et, de la cime de son altitude
Estimer les chances des chemins
Car les crues sont en route
Les premières épaves et les premiers cadavres
Sont arrivés
Ô morts qui se sont crûs
Un instant les guides de la tempête
Les inventeurs de l’ouragan
Pour en avoir été
Ô des plus fragiles
Les premiers emportés
On vous roulera dans vos drapeaux
On recueillera sur vos lèvres ces chants d’amour
Ce qu’il reste de vos rires
Et, dans vos yeux, les traces d’une aurore
Et nous reprendrons notre veille
Attentifs quand tout s’écoule
A l’immobile qui seul fait signe
Tout le reste est remous, écume, complaisance, abandon
Apostasie et complicité
Et attentifs quand tout est pétrifié
Au seul signe du plus léger frémissement
Tout le reste est pesanteur, ensevelissement, habitude et sommeil
Il est temps pour l’homme de faire l’inventaire de son âme
Et de ses armes
De compter ses amours, ses pierres à feu
Ses nappes d’eau souterraine
Et mettre les poèmes à l’abri dans le grain
D’apprendre par cœur les chants les plus indispensables
De confier au vent les chances du pollen
De prévenir les racines d’un hiver plus long que d’habitude
Il est temps pour l’homme de fourbir sa mémoire
D’accueillir les semences errantes
Avant de se mêler
Porteur de germes
Au cortège aseptisé des amnésies collectives
De sauver le plan de l’ancienne cité,
Le secret de l’ancienne liberté
De toute façon le salut est personnel.
CE TEMPS A VIVRE
Et l’aube inévitable
A qui veut s’arracher au miroir
Docile et sans mémoire
Que tend l’obscurité sans repère et sans rive
A l’orgueil familier comme un démon-gardien
Ne comptez pas sur moi pour maudire la nuit
Qui ouvre le vertige de nos moindres silences
Et habitue en nous quelque chose à la mort
Ni pour dire facile le retour à l’aurore
Je reviens du pays sans mesure
Où l’imaginé tient lieu de paysage,
L’ivresse de clairvoyance,
Le regard de clarté,
La parole d’histoire,
Le frisson d’innocence
Je reviens du pays sans contour,
Asile du sommeil,
Berger de chimères,
Refuge de l’absence,
Domaine où n’apparait que la moisson des lampes
Asservies au désir,
Espace où l’homme peut se croire seul,
Lieu où ce qui n’est pas se pare d’apparence
Empruntée au délire déguisé en Roi-Mage,
Gîte blotti aux fondrières,
Terres d’abîmes,
Me voici masqué d’ombre et assez
Pour savoir l’illusion
D’avoir pris pour dédale ce qui n’était qu’errance
Et pour une aventure une pente suivie,
Oh luxure de l’esprit
Dans la brûlure d’un lit bordé à mon empreinte.
Et je sais de la nuit
Qu’elle rêve le monde à l’image des songes,
Miroirs jetés remontant les grands fonds
La récolte un peu vaine, épaves et limon,
Témoignant de l’espèce et si peu de moi-même,
Tel qu’au réel, je m’avance lié.
Récusés les prestiges obscurs,
Il ne reste que l’aube
Peuplée d’arbres et d’hommes,
De champs et de chemins,
D’étendues et de villes
Célébrant à la fois le mystère
Et la victoire de l’évidence inépuisable
Beau réel, mon héritage
D’autant de cris que de chansons,
D’autant d’eau que de sang,
Qu’autant de cendres que de feu,
Nous avons fait de noces le voyage
Et d’amour notre histoire.
Charles Rambaud
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