LA SOCIETE DU SPECTACLE
LA SOCIETE DU SPSECTACLE - GUY DEBORD
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Peut-on nier, jusqu’à l’absurde, la liberté d’expression comme s’il n’y avait rien de plus grave et de moins réfléchi que de faire taire tout ‘’objet de lecture’’ en refusant par-là même de s’y confronter, voire de le combattre dans toutes ses parties liées les unes aux autres qu’une expérience de vie ; du mieux qu’il s’en fut d’une appréhension sociologique, peut-être particulière, s’en avertit d’un futur fondé sur les liens du discours entre les sciences et les arts afin qu’il soit fondé du combat silencieux des exclus(es) d’une justice sociale-économique ainsi que des libertés d’expression des oubliés du système de biens et services marchand vers un abîme construit sur les ruines d’un bellicisme humaniste de pacotille que les apports en richesses de ceux de la terre, des eaux, de l’air, du feu et des énergies ; humaines, n’y puissent plus contrer la démesure du désir individualiste allié à servitude indolore entre clans de possédés(es) et possédants(es).
DEDIDACE AUX REELLES COVALENCES AMICALES
Merci à tous ces sincères amis(es) réseaux, merveilleux(ses) messagers(es), auteurs(es), attracteurs(es), poètes, idéols(es), artistes, épistémologues tendres, décorticœurs affables, attentionnés(es), et autres amoureux(ses) des signes-mots… Ainsi qu’à toutes les sensibilités affétées à la sémiotique des dimensions sensiblement touchantes… Si certains de mes congénères à esprit étriqué s’autorisent à croire que je suis un fainéant à statut ‘’RSAyste’’, et autres à penser que je suis atteint d’un anthropocentrisme intrinsèquement narcissique, dénaturé de toute forme de compréhension, juste curiosité et lucide intéressement envers leur propre attachement assujetti à parfois étranges covalences, consacrées par un symbolisme affilié à atavisme inique, alors, je les laisse à leur triste, incohérent, versatile et déficient savoir, proliférant plus la soustraction des bons savoirs faire et la division des utiles savoirs être que la véritable analyse linguistique, didactique, épistémologique, philosophique, sociologique, économique, géo-historique et culturelle par le langage de la logique humainement acceptable… Des communautés à CULTURES, pensées, intentions, sens, orthodoxies, actions, causes, réactions et devises louables ?
Que faisons-nous maintenant de cette interrogation ontologique, physiologique et intellectuelle ??? Et autres connaissances ajoutées… Dans les dimensions existentialistes et matérialistes à réseaux humanistes ?
La PAIX, ou la GUERRE… ?
Ou nous essayons de définir syllogismes, paralogismes, métaphores et analogies… ???
Dans un échange textuel ou verbal, si la dialectique émise est en perceptible décodage de ce que représente une réelle et véritable covalence intelligible, voire un lien d’amitié, notamment par une notification ou un partage empreint du langage de la logique humainement acceptable ou de la contradiction prévenante, pertinente, objective et constructive ; alors la notion de sincère inclination délicate est en potentiel de véritable existence. L’espace physiquement touchable n’en perturbe pas l’intendance du langage de l’amitié, de l’attention, de la juste curiosité et du respect mutuel, affiché aux bulles textuelles partagées dans l’instant présent. Les limites sans les lumières d’autres ; temps, contrées, savoirs et cultures, jamais n’indiqueront le juste équilibre ; entre essentialisme et matérialisme. L’intérêt personnel n’a nulle convenance envers les évanescences de l’espace sensiblement touchant, sauf lorsqu’il devient obsolescence matérialiste programmée par l’accaparement et/ou l’individualisme incertain. L’égocentrisme en est l’épreuve absolue et inabordable dans le monde naturel des véritables savoirs être. N’aurait-il pas mieux valu en considérer le sens avant la fin… ? Tous les esprits libres, sensés et valorisés à l’intelligence bienveillante savent cela. Ils, elles comprennent également que sur l’ouvrage, avec passion, il faut s’entendre. Si l’enfer est un tunnel creusé par une colonie munie de pics d’incertitude, alors la raison est un bouquet d’attentions que l’on arrose de lucidité…
‘’Le propre de la vraie forme c'est que l'esprit se dégage d'elle immédiatement, instantanément, tandis que la forme défectueuse le retient comme un mauvais miroir et ne nous rappelle rien qu'elle-même.’’ Kleist
Si la pauvreté est la mère des crimes, le défaut d’esprit en est le père. Jean de La Bruyère
Par ces postulats, il ne devrait donc y avoir, en ces temps troublés, aucune possibilité d’ordre politique transcendant ; donnant à l’art des gens, cette qualité de juste compréhension envers la totalité du système Socio-Economico-Culturel… Dans les zones de production, d’échange et de valorisation de bien(s) et services représentées, dans et ; par la République Française Démocratique à tendances Laïques… Dans les civilisations individualistes l’ensemble communautaire rationnel n'a plus aucune identité sociologique spécifique – Il est donc incohérent de la part des corporatismes à statuts conformistes béats de contracter avec lui. Peut-être parce que les orthodoxies séculaires ont peur du miroir des contre-évidences. En conséquence de cela, ne rendons toutefois pas, par déni d’attentions, d’analyses et de compréhension, l’autre intrinsèquement responsable de n’avoir su ou réussi à répondre à tous nos besoins insatisfaits et sentiments inassouvis… Où en ces états sensibles, lorsque l’acte de mauvaise intendance est réellement avéré alors, il ne reste plus que la liberté de partir vers de possibles meilleurs horizons… Accepter l’infortune du moment, devenir aphone, écrire ou, se rebeller… S’indigner, Résister…
Mais contre qui et au nom de quoi… ???
Michel Asti – Au-delà des quarante malencontreuses – Extrait sur :
https://lamarante-des-artisans-francais.com/blog/
LA SOCIETE DU SPECTACLE : Guy Debord (1967)
La Société du Spectacle a été publiée pour la première fois en novembre 1967 à Paris, chez Buchet-Chastel. Les troubles de 1968 l’ont fait connaître. Le livre, auquel je n’ai jamais changé un seul mot, a été réédité dès 1971 aux Éditions Champ Libre, qui ont pris le nom de Gérard Lebovici en 1984, après l’assassinat de l’éditeur. La série des réimpressions y a été poursuivie régulièrement, jusqu’en 1991. La présente édition, elle aussi, est restée rigoureusement identique à celle de 1967. La même règle commandera d’ailleurs, tout naturellement, la réédition de l’ensemble de mes livres chez Gallimard. Je ne suis pas quelqu’un qui se corrige.
Une telle théorie critique n’a pas à être changée ; aussi longtemps que n’auront pas été détruites les conditions générales de la longue période de l’histoire que cette théorie aura été la première à définir avec exactitude. La continuation du développement de la période n’a fait que vérifier et illustrer la théorie du spectacle dont l’exposé, ici réitéré, peut également être considéré comme historique dans une acceptation moins élevée : il témoigne de ce qu’a été la position la plus extrême au moment des querelles de 1968, et donc de ce qu’il était déjà possible de savoir en 1968. Les pires dupes de cette époque ont pu apprendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence, ce que signifiaient la « négation de la vie qui est devenue visible » ; la « perte de la qualité » liée à la forme-marchandise, et la « prolétarisation du monde ».
J’ai du reste ajouté en leur temps d’autres observations touchant les plus remarquables nouveautés que le cours ultérieur du même processus devait faire apparaître. En 1979, à l’occasion d’une préface destinée à une nouvelle traduction italienne, j’ai traité des transformations effectives dans la nature même de la production industrielle, comme dans les techniques de gouvernement, que commençait à autoriser l’emploi de la force spectaculaire. En 1988, les Commentaires sur la société du spectacle ont nettement établi que la précédente « division mondiale des tâches spectaculaires », entre les règnes rivaux du « spectaculaire concentré » et du « spectaculaire diffus », avait désormais pris fin au profit de leur fusion dans la forme commune du « spectaculaire intégré ».
Cette fusion peut être sommairement résumée en corrigeant la thèse 105 qui, touchant ce qui s’était passé avant 1967, distinguait encore les formes antérieures selon certaines pratiques opposées. Le Grand Schisme du pouvoir de classe s’étant achevé par la réconciliation, il faut dire que la pratique unifiée du spectaculaire intégré, aujourd’hui, a « transformé économiquement le monde », en même temps qu’il a « transformé policièrement la perception ». (La police dans la circonstance est elle-même tout à fait nouvelle.)
C’est seulement parce que cette fusion s’était déjà produite dans la réalité économico-politique du monde entier, que le monde pouvait enfin se proclamer officiellement unifié. C’est aussi parce que la situation où en est universellement arrivé le pouvoir séparé est si grave que ce monde avait besoin d’être unifié au plus tôt ; de participer comme un seul bloc à la même organisation consensuelle du marché mondial, falsifié et garanti spectaculairement. Et il ne s’unifiera pas, finalement. La bureaucratie totalitaire, « classe dominante de substitution pour l’économie marchande », n’avait jamais beaucoup cru à son destin. Elle se savait « forme sous-développée de classe dominante », et se voulait mieux. La thèse 58 avait de longue date établi l’axiome suivant : « La racine du spectacle est dans le terrain de l’économie devenue abondante, et c’est de là que viennent les fruits qui tendent finalement à dominer le marché spectaculaire. »
C’est cette volonté de modernisation et d’unification du spectacle, liée à tous les autres aspects de la simplification de la société, qui a conduit en 1989 la bureaucratie russe à se convertir soudain, comme un seul homme, à la présente idéologie de la démocratie : c’est-à-dire la liberté dictatoriale du Marché, tempérée par la reconnaissance des Droits de l’homme spectateur. Personne en Occident n’a épilogué un seul jour sur la signification et les conséquences d’un si extraordinaire événement médiatique. Le progrès de la technique spectaculaire se prouve en ceci. Il n’y a eu à enregistrer que l’apparence d’une sorte de secousse géologique. On date le phénomène, et on l’estime bien assez compris, en se contentant de répéter un très simple signal – la chute-du-Mur-de- Berlin –, aussi indiscutable que tous les autres signaux démocratiques. En 1991, les premiers effets de la modernisation ont paru avec la dissolution complète de la Russie.
Là s’exprime, plus franchement encore qu’en Occident, le résultat désastreux de l’évolution générale de l’économie. Le désordre n’en est que la conséquence. Partout se posera la même redoutable question, celle qui hante le monde depuis deux siècles : comment faire travailler les pauvres, là où l’illusion a déçu, et où la force s’est défaite ?
La thèse 111, reconnaissant les premiers symptômes d’un déclin russe dont nous venons de voir l’explosion finale, et envisageant la disparition prochaine d’une société mondiale qui, comme on peut dire maintenant, s’effacera de la mémoire de l’ordinateur, énonçait ce jugement stratégique dont il va devenir facile de sentir la justesse : « La décomposition mondiale de l’alliance de la mystification bureaucratique est, en dernière analyse, le facteur le plus défavorable pour le développement actuel de la société capitaliste. »
Il faut lire ce livre en considérant qu’il a été sciemment écrit dans l’intention de nuire à la société spectaculaire. Il n’a jamais rien dit d’outrancier.
30 juin 1992 - GUY DEBORD
II – LA MARCHANDISE COMME SPECTACLE
« Car ce n’est que comme catégorie universelle de l’être social total que la marchandise peut être comprise dans son essence authentique. Ce n’est que dans ce contexte que la réification surgie du rapport marchand acquiert une signification décisive, tant pour l’évolution objective de la société que pour l’attitude des hommes à son égard, pour la soumission de leur conscience aux formes dans lesquelles cette réification s’exprime... Cette soumission s’accroît encore du fait que plus la rationalisation et la mécanisation du processus de travail augmentent, plus l’activité du travailleur perd son caractère d’activité pour devenir une attitude contemplative. »
Lukàcs (Histoire et conscience de classe)
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À ce mouvement essentiel du spectacle, qui consiste à reprendre en lui tout ce qui existait dans l’activité humaine à l’état fluide, pour le posséder à l’état coagulé, en tant que choses qui sont devenues la valeur exclusive par leur formulation en négatif de la valeur vécue, nous reconnaissons notre vieille ennemie qui sait si bien paraître au premier coup d’œil quelque chose de trivial et se comprenant de soi-même, alors qu’elle est au contraire si complexe et si pleine de subtilités métaphysiques, la marchandise.
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C’est le principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société par « des choses suprasensibles bien que sensibles », qui s’accomplit absolument dans le spectacle, où le monde sensible se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait reconnaître comme le sensible par excellence.
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Le monde à la fois présent et absent que le spectacle fait voir est le monde de la marchandise dominant tout ce qui est vécu. Et le monde de la marchandise est ainsi montré comme il est, car son mouvement est identique à l’éloignement des hommes entre eux et vis-à-vis de leur produit global.
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La perte de la qualité, si évidente à tous les niveaux du langage spectaculaire, des objets qu’il loue et des conduites qu’il règle, ne fait que traduire les caractères fondamentaux de la production réelle qui écarte la réalité : la forme-marchandise est de part en part l’égalité à soi-même, la catégorie du quantitatif. C’est le quantitatif qu’elle développe, et elle ne peut se développer qu’en lui.
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Ce développement qui exclut le qualitatif est lui-même soumis, en tant que développement, au passage qualitatif : le spectacle signifie qu’il a franchi le seuil de sa propre abondance ; ceci n’est encore vrai localement que sur quelques points, mais déjà vrai à l’échelle universelle qui est la référence originelle de la marchandise, référence que son mouvement pratique, rassemblant la Terre comme marché mondial, a vérifiée.
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Le développement des forces productives a été l’histoire réelle inconsciente qui a construit et modifié les conditions d’existence des groupes humains en tant que conditions de survie, et élargissement de ces conditions : la base économique de toutes leurs entreprises. Le secteur de la marchandise a été, à l’intérieur d’une économie naturelle, la constitution d’un surplus de la survie. La production des marchandises, qui implique l’échange de produits variés entre des producteurs indépendants, a pu rester longtemps artisanale, contenue dans une fonction économique marginale où sa vérité quantitative est encore masquée. Cependant, là où elle a rencontré les conditions sociales du grand commerce et de l’accumulation des capitaux, elle a saisi la domination totale de l’économie. L’économie tout entière est alors devenue ce que la marchandise s’était montrée être au cours de cette conquête : un processus de développement quantitatif.
Ce déploiement incessant de la puissance économique sous la forme de la marchandise, qui a transfiguré le travail humain en travail-marchandise, en salariat, aboutit cumulativement à une abondance dans laquelle la question première de la survie est sans doute résolue, mais d’une manière telle qu’elle doit se retrouver toujours ; elle est chaque fois posée de nouveau à un degré supérieur. La croissance économique libère les sociétés de la pression naturelle qui exigeait leur lutte immédiate pour la survie, mais alors c’est de leur libérateur qu’elles ne sont pas libérées. L’indépendance de la marchandise s’est étendue à l’ensemble de l’économie sur laquelle elle règne. L’économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l’économie. La pseudo-nature dans laquelle le travail humain s’est aliéné exige de poursuivre à l’infini son service, et ce service, n’étant jugé et absous que par lui-même, en fait obtient la totalité des efforts et des projets socialement licites, comme ses serviteurs. L’abondance des marchandises, c’est-à-dire du rapport marchand, ne peut être plus que la survie augmentée.
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La domination de la marchandise s’est d’abord exercée d’une manière occulte sur l’économie, qui elle-même, en tant que base matérielle de la vie sociale, restait inaperçue et incomprise, comme le familier qui n’est pas pour autant connu. Dans une société où la marchandise concrète reste rare ou minoritaire, c’est la domination apparente de l’argent qui se présente comme l’émissaire muni des pleins pouvoirs qui parle au nom d’une puissance inconnue. Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et la production massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement comme une puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. C’est alors que se constitue l’économie politique, comme science dominante et comme science de la domination.
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Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. Dans les lieux les moins industrialisés, son règne est déjà présent avec quelques marchandises-vedettes et en tant que domination impérialiste par les zones qui sont en tête dans le développement de la productivité. Dans ces zones avancées, l’espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de marchandises. À ce point de la « deuxième révolution industrielle », la consommation aliénée devient pour les masses un devoir supplémentaire à la production aliénée. C’est tout le travail vendu d’une société qui devient globalement la marchandise totale dont le cycle doit se poursuivre. Pour ce faire, il faut que cette marchandise totale revienne fragmentairement à l’individu fragmentaire, absolument séparé des forces productives opérant comme un ensemble. C’est donc ici que la science spécialisée de la domination doit se spécialiser à son tour : elle s’émiette en sociologie, psychotechnique, cybernétique, sémiologie, etc., veillant à l’autorégulation de tous les niveaux du processus.
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Alors que dans la phase primitive de l’accumulation capitaliste « l’économie politique ne voit dans le prolétaire que l’ouvrier », qui doit recevoir le minimum indispensable pour la conservation de sa force de travail, sans jamais le considérer « dans ses loisirs, dans son humanité », cette position des idées de la classe dominante se renverse aussitôt que le degré d’abondance atteint dans la production des marchandises exige un surplus de collaboration de l’ouvrier. Cet ouvrier, soudain lavé du mépris total qui lui est clairement signifié par toutes les modalités d’organisation et surveillance de la production, se retrouve chaque jour en dehors de celle-ci apparemment traité comme une grande personne, avec une politesse empressée, sous le déguisement du consommateur. Alors l’humanisme de la marchandise prend en charge « les loisirs et l’humanité » du travailleur, tout simplement parce que l’économie politique peut et doit maintenant dominer ces sphères en tant qu’économie politique. Ainsi « le reniement achevé de l’homme » a pris en charge la totalité de l’existence humaine.
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Le spectacle est une guerre de l’opium permanente pour faire accepter l’identification des biens aux marchandises ; et de la satisfaction à la survie augmentant selon ses propres lois. Mais si la survie consommable est quelque chose qui doit augmenter toujours, c’est parce qu’elle ne cesse de contenir la privation. S’il n’y a aucun au-delà de la survie augmentée, aucun point où elle pourrait cesser sa croissance, c’est parce qu’elle n’est pas elle-même au-delà de la privation, mais qu’elle est la privation devenue plus riche.
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Avec l’automation, qui est à la fois le secteur le plus avancé de l’industrie moderne, et le modèle où se résume parfaitement sa pratique, il faut que le monde de la marchandise surmonte cette contradiction : l’instrumentation technique qui supprime objectivement le travail doit en même temps conserver le travail comme marchandise, et seul lieu de naissance de la marchandise. Pour que l’automation, ou toute autre forme moins extrême de l’accroissement de la productivité du travail, ne diminue pas effectivement le temps de travail social nécessaire à l’échelle de la société, il est nécessaire de créer de nouveaux emplois. Le secteur tertiaire, les services, sont l’immense étirement des lignes d’étapes de l’armée de la distribution et de l’éloge des marchandises actuelles ; mobilisation de forces supplétives qui rencontre opportunément, dans la facticité même des besoins relatifs à de telles marchandises, la nécessité d’une telle organisation de l’arrière-travail.
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La valeur d’échange n’a pu se former qu’en tant qu’agent de la valeur d’usage, mais sa victoire par ses propres armes a créé les conditions de sa domination autonome. Mobilisant tout usage humain et saisissant le monopole de sa satisfaction, elle a fini par diriger l’usage. Le processus de l’échange s’est identifié à tout usage possible, et l’a réduit à sa merci. La valeur d’échange est le condottiere de la valeur d’usage, qui finit par mener la guerre pour son propre compte.
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Cette constante de l’économie capitaliste qui est la baisse tendancielle de la valeur d’usage développe une nouvelle forme de privation à l’intérieur de la survie augmentée, laquelle n’est pas davantage affranchie de l’ancienne pénurie puisqu’elle exige la participation de la grande majorité des hommes, comme travailleurs salariés, à la poursuite infinie de son effort ; et que chacun sait qu’il lui faut s’y soumettre ou mourir. C’est la réalité de ce chantage, le fait que l’usage sous sa forme la plus pauvre (manger, habiter) n’existe plus qu’emprisonné dans la richesse illusoire de la survie augmentée, qui est la base réelle de l’acceptation de l’illusion en général dans la consommation des marchandises modernes. Le consommateur réel devient consommateur d’illusions. La marchandise est cette illusion effectivement réelle, et le spectacle sa manifestation générale
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La valeur d’usage qui était implicitement comprise dans la valeur d’échange doit être maintenant explicitement proclamée, dans la réalité inversée du spectacle, justement parce que sa réalité effective est rongée par l’économie marchande surdéveloppée ; et qu’une pseudo-justification devient nécessaire à la fausse vie.
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Le spectacle est l’autre face de l’argent : l’équivalent général abstrait de toutes les marchandises. Mais si l’argent a dominé la société en tant que représentation de l’équivalence centrale, c’est-à-dire du caractère échangeable des biens multiples dont l’usage restait incomparable, le spectacle est son complément moderne développé où la totalité du monde marchand apparaît en bloc, comme une équivalence générale à ce que l’ensemble de la société peut être et faire. Le spectacle est l’argent que l’on regarde seulement, car en lui déjà c’est la totalité de l’usage qui s’est échangée contre la totalité de la représentation abstraite. Le spectacle n’est pas seulement le serviteur du pseudo-usage, il est déjà en lui-même le pseudo-usage de la vie.
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Le résultat concentré du travail social, au moment de l’abondance économique, devient apparent et soumet toute réalité à l’apparence, qui est maintenant son produit. Le capital n’est plus le centre invisible qui dirige le mode de production : son accumulation l’étale jusqu’à la périphérie sous forme d’objets sensibles. Toute l’étendue de la société est son portrait.
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La victoire de l’économie autonome doit être en même temps sa perte. Les forces qu’elle a déchaînées suppriment la nécessité économique qui a été la base immuable des sociétés anciennes. Quand elle la remplace par la nécessité du développement économique infini, elle ne peut que remplacer la satisfaction des premiers besoins humains sommairement reconnus, par une fabrication ininterrompue de pseudo-besoins qui se ramènent au seul pseudo-besoin du maintien de son règne. Mais l’économie autonome se sépare à jamais du besoin profond dans la mesure même où elle sort de l’inconscient social qui dépendait d’elle sans le savoir.
« Tout ce qui est conscient s’use. Ce qui est inconscient reste inaltérable. Mais une fois délivré,
ne tombe-t-il pas en ruine à son tour ? » (Freud).
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Au moment où la société découvre qu’elle dépend de l’économie, l’économie, en fait, dépend d’elle. Cette puissance souterraine, qui a grandi jusqu’à paraître souverainement, a aussi perdu sa puissance. Là où était le ‘’ça’’ économique doit venir le ‘’Je’’.
Le sujet ne peut émerger que de la société, c’est-à-dire de la lutte qui est en elle-même. Son existence possible est suspendue aux résultats de la lutte des classes qui se révèle comme le produit et le producteur de la fondation économique de l’histoire.
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La conscience du désir et le désir de la conscience sont identiquement ce projet qui, sous sa forme négative, veut l’abolition des classes, c’est-à-dire la possession directe des travailleurs sur tous les moments de leur activité. Son contraire est la société du spectacle, où la marchandise se contemple elle-même dans un monde qu’elle a créé.
III – UNITE ET DIVISION DANS L’APPARENCE
« Une nouvelle polémique animée se déroule dans le pays, sur le front de la philosophie, à propos des concepts "un se divise en deux" et "deux fusionnent en un". Ce débat est une lutte entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la dialectique matérialiste, une lutte entre deux conceptions du monde : la conception prolétarienne et la conception bourgeoise. Ceux qui soutiennent que "un se divise en deux" est la loi fondamentale des choses se tiennent du côté de la dialectique matérialiste ; ceux qui soutiennent que la loi fondamentale des choses est que "deux fusionnent en un" sont contre la dialectique matérialiste. Les deux côtés ont tiré une nette ligne de démarcation entre eux et leurs arguments sont diamétralement opposés. Cette polémique reflète sur le plan idéologique la lutte de classe aiguë et complexe qui se déroule en Chine et dans le monde. »
(Le Drapeau rouge de Pékin, 21 Septembre 1964.)
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Le spectacle, comme la société moderne, est à la fois uni et divisé. Comme elle, il édifie son unité sur le déchirement. Mais la contradiction, quand elle émerge dans le spectacle, est à son tour contredite par un renversement de son sens ; de sorte que la division montrée est unitaire, alors que l’unité montrée est divisée.
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C’est la lutte de pouvoirs qui se sont constitués pour la gestion du même système socio-économique, qui se déploie comme la contradiction officielle, appartenant en fait à l’unité réelle ; ceci à l’échelle mondiale aussi bien qu’à l’intérieur de chaque nation.
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Les fausses luttes spectaculaires des formes rivales du pouvoir séparé sont en même temps réelles, en ce qu’elles traduisent le développement inégal et conflictuel du système, les intérêts relativement contradictoires des classes ou des subdivisions de classes qui reconnaissent le système, et définissent leur propre participation dans son pouvoir. De même que le développement de l’économie la plus avancée est l’affrontement de certaines priorités contre d’autres, la gestion totalitaire de l’économie par une bureaucratie d’État, et la condition des pays qui se sont trouvés placés dans la sphère de la colonisation ou de la semi-colonisation, sont définies par des particularités considérables dans les modalités de la production et du pouvoir. Ces diverses oppositions peuvent se donner, dans le spectacle, selon les critères tout différents, comme des formes de sociétés absolument distinctes. Mais selon leur réalité effective de secteurs particuliers, la vérité de leur particularité réside dans le système universel qui les contient : dans le mouvement unique qui a fait de la planète son champ, le capitalisme.
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La société porteuse du spectacle ne domine pas seulement par son hégémonie économique les régions sous-développées. Elle les domine en tant que société du spectacle. Là où la base matérielle est encore absente, la société moderne a déjà envahi spectaculairement la surface sociale de chaque continent.
Elle définit le programme d’une classe dirigeante et préside à sa constitution. De même qu’elle présente les pseudo-biens à convoiter, de même elle offre aux révolutionnaires locaux les faux modèles de révolution. Le spectacle propre du pouvoir bureaucratique qui détient quelques-uns des pays industriels fait précisément partie du spectacle total, comme sa pseudo négation générale, et son soutien. Si le spectacle, regardé dans ses diverses localisations, montre à l’évidence des spécialisations totalitaires de la parole et de l’administration sociales, celles-ci en viennent à se fondre, au niveau du fonctionnement global du système, en une division mondiale des tâches spectaculaires.
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La division des tâches spectaculaires qui conserve la généralité de l’ordre existant conserve principalement le pôle dominant de son développement. La racine du spectacle est dans le terrain de l’économie devenue abondante, et c’est de là que viennent les fruits qui tendent finalement à dominer le marché spectaculaire, en dépit des barrières protectionnistes idéologico- policières de n’importe quel spectacle local à prétention autarcique.
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Le mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du spectacle, domine mondialement la société moderne, la domine aussi sur chacun des points où la consommation développée des marchandises a multiplié en apparence les rôles et les objets à choisir. Les survivances de la religion et de la famille – laquelle reste la forme principale de l’héritage du pouvoir de classe –, et donc de la répression morale qu’elles assurent, peuvent se combiner comme une même chose avec l’affirmation redondante de la jouissance de ce monde, ce monde n’étant justement produit qu’en tant que pseudo jouissance qui garde en elle la répression. À l’acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : ceci traduit ce simple fait que l’insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l’abondance économique s’est trouvée capable d’étendre sa production jusqu’au traitement d’une telle matière première.
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En concentrant en elle l’image d’un rôle possible, la vedette, la représentation spectaculaire de l’homme vivant, concentre donc cette banalité. La condition de vedette est la spécialisation du vécu apparent, l’objet de l’identification à la vie apparente sans profondeur, qui doit compenser l’émiettement des spécialisations productives effectivement vécues. Les vedettes existent pour figurer des types variés de styles de vie et de styles de compréhension de la société, libres de s’exercer globalement. Elles incarnent le résultat inaccessible du travail social, en mimant des sous-produits de ce travail qui sont magiquement transférés au-dessus de lui comme son but : le pouvoir et les vacances, la décision et la consommation qui sont au commencement et à la fin d’un processus indiscuté. Là, c’est le pouvoir gouvernemental qui se personnalise en pseudo vedette ; ici c’est la vedette de la consommation qui se fait plébisciter en tant que pseudo-pouvoir sur le vécu. Mais, de même que ces activités de la vedette ne sont pas réellement globales, elles ne sont pas variées.
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L’agent du spectacle mis en scène comme vedette est le contraire de l’individu, l’ennemi de l’individu en lui-même aussi évidemment que chez les autres. Passant dans le spectacle comme modèle d’identification, il a renoncé à toute qualité autonome pour s’identifier lui-même à la loi générale de l’obéissance au cours des choses. La vedette de la consommation, tout en étant extérieurement la représentation de différents types de personnalité, montre chacun de ces types ayant également accès à la totalité de la consommation, et y trouvant pareillement son bonheur. La vedette de la décision doit posséder le stock complet de ce qui a été admis comme qualités humaines. Ainsi entre elles les divergences officielles sont annulées par la ressemblance officielle, qui est la présupposition de leur excellence en tout. Khrouchtchev était devenu général pour décider de la bataille de Koursk, non sur le terrain, mais au vingtième anniversaire, quand il se trouvait maître de l’État. Kennedy était resté orateur jusqu’à prononcer son éloge sur sa propre tombe, puisque Théodore Sorensen continuait à ce moment de rédiger pour le successeur les discours dans ce style qui avait tant compté pour faire reconnaître la personnalité du disparu. Les gens admirables en qui le système se personnifie sont bien connus pour n’être pas ce qu’ils sont ; ils sont devenus grands hommes en descendant au-dessous de la réalité de la moindre vie individuelle, et chacun le sait.
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Le faux choix dans l’abondance spectaculaire, choix qui réside dans la juxtaposition de spectacles concurrentiels et solidaires comme dans la juxtaposition des rôles (principalement signifiés et portés par des objets) qui sont à la fois exclusifs et imbriqués, se développe en lutte de qualités fantomatiques destinées à passionner l’adhésion à la trivialité quantitative. Ainsi renaissent de fausses oppositions archaïques, des régionalismes ou des racismes chargés de transfigurer en supériorité ontologique fantastique la vulgarité des places hiérarchiques dans la consommation. Ainsi se recompose l’interminable série des affrontements dérisoires mobilisant un intérêt sous-ludique, du sport de compétition aux élections. Là où s’est installée la consommation abondante, une opposition spectaculaire principale entre la jeunesse et les adultes vient en premier plan des rôles fallacieux : car nulle part il n’existe d’adulte, maître de sa vie, et la jeunesse, le changement de ce qui existe, n’est aucunement la propriété de ces hommes qui sont maintenant jeunes, mais celle du système économique, le dynamisme du capitalisme. Ce sont des choses qui règnent et qui sont jeunes ; qui se chassent et se remplacent elles-mêmes.
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C’est l’unité de la misère qui se cache sous les oppositions spectaculaires. Si des formes diverses de la même aliénation se combattent sous les masques du choix total, c’est parce qu’elles sont toutes édifiées sur les contradictions réelles refoulées. Selon les nécessités du stade particulier de la misère qu’il dément et maintient, le spectacle existe sous une forme concentrée ou sous une forme diffuse. Dans les deux cas, il n’est qu’une image d’unification heureuse environnée de désolation et d’épouvante, au centre tranquille du malheur.
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Le spectaculaire concentré appartient essentiellement au capitalisme bureaucratique, encore qu’il puisse être importé comme technique du pouvoir étatique sur des économies mixtes plus arriérées, ou dans certains moments de crise du capitalisme avancé. La propriété bureaucratique en effet est elle-même concentrée en ce sens que le bureaucrate individuel n’a de rapports avec la possession de l’économie globale que par l’intermédiaire de la communauté bureaucratique, qu’en tant que membre de cette communauté. En outre la production des marchandises, moins développée, se présente aussi sous une forme concentrée : la marchandise que la bureaucratie détient, c’est le travail social total, et ce qu’elle revend à la société, c’est sa survie en bloc. La dictature de l’économie bureaucratique ne peut laisser aux masses exploitées aucune marge notable de choix, puisqu’elle a dû tout choisir par elle-même, et que tout autre choix extérieur, qu’il concerne l’alimentation ou la musique, est donc déjà le choix de sa destruction complète. Elle doit s’accompagner d’une violence permanente. L’image imposée du bien, dans son spectacle, recueille la totalité de ce qui existe officiellement, et se concentre normalement sur un seul homme, qui est le garant de sa cohésion totalitaire. À cette vedette absolue, chacun doit s’identifier magiquement, ou disparaître. Car il s’agit du maître de sa non-consommation, et de l’image héroïque d’un sens acceptable pour l’exploitation absolue qu’est en fait l’accumulation primitive accélérée par la terreur. Si chaque Chinois doit apprendre Mao, et ainsi être Mao, c’est qu’il n’a rien d’autre à être. Là où domine le spectaculaire concentré domine aussi la police.
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Le spectaculaire diffus accompagne l’abondance des marchandises, le développement non perturbé du capitalisme moderne. Ici chaque marchandise prise à part est justifiée au nom de la grandeur de la production de la totalité des objets, dont le spectacle est un catalogue apologétique. Des affirmations inconciliables se poussent sur la scène du spectacle unifié de l’économie abondante ; de même que différentes marchandises- vedettes soutiennent simultanément leurs projets contradictoires d’aménagement de la société, où le spectacle des automobiles veut une circulation parfaite qui détruit les vieilles ci tés, tandis que le spectacle de la ville elle-même a besoin des quartiers-musées. Donc la satisfaction, déjà problématique, qui est réputée appartenir à la consommation de l’ensemble est immédiatement falsifiée en ceci que le consommateur réel ne peut directement toucher qu’une succession de fragments de ce bonheur marchand, fragments d’où chaque fois la qualité prêtée à l’ensemble est évidemment absente.
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Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut pas reconnaître les autres, prétend s’imposer partout comme si elle était la seule. Le spectacle est alors le chant épique de cet affrontement, que la chute d’aucune Ilion ne pourrait conclure. Le spectacle ne chante pas les hommes et leurs armes, mais les marchandises et leurs passions. C’est dans cette lutte aveugle que chaque marchandise, en suivant sa passion, réalise en fait dans l’inconscience quelque chose de plus élevé : le devenir-monde de la marchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise du monde. Ainsi, par une ruse de la raison marchande, le particulier de la marchandise s’use en combattant, tandis que la forme-marchandise va vers sa réalisation absolue.
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La satisfaction que la marchandise abondante ne peut plus donner dans l’usage en vient à être recherchée dans la reconnaissance de sa valeur en tant que marchandise : c’est l’usage de la marchandise se suffisant à lui-même ; et pour le consommateur l’effusion religieuse envers la liberté souveraine de la marchandise. Des vagues d’enthousiasme pour un produit donné, soutenu et relancé par tous les moyens d’information, se propagent ainsi à grande allure. Un style de vêtements surgit…
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S’émanciper des bases matérielles de la vérité inversée, voilà en quoi consiste l’auto-émancipation de notre époque. Cette « mission historique d’instaurer la vérité dans le monde », ni l’individu isolé, ni la foule atomisée soumise aux manipulations ne peuvent l’accomplir, mais encore et toujours la classe qui est capable d’être la dissolution de toutes les classes en ramenant tout le pouvoir à la forme désaliénante de la démocratie réalisée, le Conseil dans lequel la théorie pratique se contrôle elle-même et voit son action. Là seulement où les individus sont « directement liés à l’histoire universelle » ; là seulement où le dialogue s’est armé pour faire vaincre ses propres conditions
Date de dernière mise à jour : 07/02/2020
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